RESTAURER LA CONFIANCE EN L’AVENIR, ETHIQUE ET PRISES DE RISQUES – 60 ANS DE L’UDAP – SYNTHESE DU DEBAT DU 16 MAI 2023
Le niveau de confiance des Français envers les organisations est très variable. Très élevé à l’égard des institutions régaliennes, telle que l’Armée (80 %), ce niveau de confiance chute quand ils sont interrogés à propos des partis politiques (18 %), des media (31 %), des députés (36 % même si ce taux progresse) et des syndicats (38 % en hausse également). Avec un clivage très net en faveur des PME (en tête du classement de la confiance avec 82 %) … loin devant les grandes entreprises (41 %).
Ces conclusions ressortent de la 10ème édition du Baromètre des « Fractures françaises » IPSOS/Sopra Steria pour Le Monde, La Fondation Jean Jaurès et le Centre de recherches politiques de Science Po (Cevipof), enquête réalisée en septembre 2022, auprès d’un échantillon représentatif de la population française (12 000 personnes âgées de 18 ans et plus).
Pour restaurer la confiance en l’avenir, la contribution de 4 composantes essentielles de notre Société – la politique, l’action syndicale, la fonction publique et l’entreprise (d’assurance) – s’avère essentielle. C’est aussi un enjeu d’attractivité et de fidélisation des talents pour continuer à aller de l’avant et relever les défis majeurs auxquels nous sommes collectivement confrontés : défis écologiques, numériques et démographiques.
Difficile de restaurer la confiance sans éthique (ou déontologie, voire morale ?) à concilier avec la prise de risques inhérente à toute activité. A l’occasion des 60 ans de l’UDAP, cette interrogation a donné lieu aux regards croisés de 4 décideurs :
- Marie-Anne Montchamp, Directrice Générale de l’OCIRP, ancienne Présidente de la CNSA, ancienne Secrétaire d’Etat, ancienne Députée du Val-de-Marne
- François Hommeril, Président de la CFE-CGC
- Alain Pidoux, Général de Corps d’Armée, Chef de l’Inspection générale de la Gendarmerie nationale
- Adrien Couret, Directeur Général de Aéma Groupe
En synthèse des échanges :
1/ L’éthique des forces de l’ordre : rôle du référent déontologue de la Gendarmerie
Dans le cadre de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, le chef de l’Inspection générale de la Gendarmerie nationale (IGGN) a été désigné référent déontologue. Sans références concrètes, une affaire a constitué un élément déclencheur : le passage à tabac de Michel Zecler dans son studio de musique du 17ème arrondissement de Paris, en novembre 2020, par plusieurs policiers filmés par les caméras de surveillance. S’en est suivi en 2021, le Beauvau de la Sécurité, avec pour objectif de trouver concrètement les moyens de restaurer la confiance dans les forces de sécurité, en s’appuyant sur les réflexions déjà engagées. Ce qui a donné lieu à l’élaboration d’une feuille de route de l’Inspection Générale de la Gendarmerie Nationale (IGGN) et d’un plan d’actions pour la Gendarmerie et la Police : 22 mesures très précises et mesurables.
Le niveau de confiance des Français dans leurs forces de l’ordre est relativement élevé, mais il varie en fonction des événements (des embrassades après les attentats à la méfiance après des actions musclées dans les manifestations). Pour le Général Pidoux, la confiance se cultive au quotidien et elle est fragile. A 80 % il y a quelques mois, ce niveau se rapproche des 70 %. La confiance passe par la transparence et des interventions publiques lors de conférences auprès d’étudiants par exemple, car la Gendarmerie n’a rien à cacher, sauf sur les affaires judiciaires. La Gendarmerie nationale arrive en tête du Podium de la Relation client depuis plusieurs années, dans la catégorie « Secteur Public » (enquête menée par BearingPoint et Kantar/TNS). Gagner des batailles c’est bien, mais gagner la guerre, c’est mieux. Et sur les 150 manquements à la déontologie signalés par le défenseur des droits, seulement 3 concernaient les gendarmes. C’est le résultat d’une bataille au quotidien pour faire respecter le discernement, l’équilibre et la maîtrise.
2/ L’éthique en politique résulte d’un engagement explicite
Selon Marie-Anne Montchamp, en politique il s’agit d’une éthique de l’action partisane. Elle ne peut pas être normée, mais elle résulte d’un engagement explicite. Dans son parcours, il s’agit de son engagement constant en faveur de la protection sociale et du soutien des personnes en situation de handicap. Ainsi, par exemple, au sein du Gouvernement de Jacques Chirac, porter la politique du handicap fut très compliqué en raison des points de vue divergents des associations qui défendent les proches et parents des personnes handicapées, les intérêts catégoriels, les contraintes des finances publiques… impossibles à concilier et contenter des intérêts divergents. Il a donc fallu trouver le terrain d’entente qui parle à l’intime conviction : le projet de vie de toute personne handicapée qui a le droit de se projeter. Et pour l’entourage familial, cette fracture de projection est très difficile. Grâce à cette petite base commune – le projet de vie – les acteurs ont pu se dépasser, trouver un dénominateur commun et retrouver la confiance. L’éthique en politique consisterait à rechercher des points d’entrée permettant d’instaurer la confiance. On peut avoir raison, mais si le corps social ne peut pas suivre son intime conviction, il peut y avoir une fracture. D’où la nécessité d’avoir une vision pour donner du sens à l’action et la capacité de se projeter conduisant au dépassement, grâce à la confiance, à ne pas confondre avec la foi. De cette vision découlera une feuille de route. L’absence d’engagement peut conduire au sectarisme, au corporatisme ou à la défense d’intérêts contingents. C’est une question de sens, de détermination et d’équilibre de la conviction.
3/L’éthique dans l’action syndicale
La CFE-CGC représente une grande diversité de salariés (le technicien de la banque, de la métallurgie ou le directeur dans l’assurance…), mais sa référence fondamentale est l’individu dans le groupe et certains sont plus exposés que d’autres, car moins en capacité de se défendre. Le syndicat est une communauté d’intérêt à l’intérieur de l’entreprise, une communauté de destins. Le syndicat est porteur d’une vérité. Une personne qui est mal dans son travail, c’est sa vérité. La responsabilité du syndicat est de considérer que le groupe de travail constitue un rassemblement d’individualités dont il est le porte-parole. Une collectivité de travail à interroger ; une vérité à établir et porter cette vérité du collectif de travail. Sinon, il n’y a pas de vie. François Hommeril établit un parallèle avec le corps humain, avec deux systèmes nerveux : l’un ordonne et l’autre prévient du danger. Dans le corps social, il s’agit d’un rapport de forces nécessitant un arbitrage.
La CFE-CGC est le porte-parole des cadres pour les défendre dans des situations de harcèlement qui peuvent avoir des conséquences (cf les suicides chez France Télécom). La présence d’une organisation syndicale est libératrice quand les gens souffrent.
A l’inverse, il faut écarter des comportements qui aboutissent à une société invivable parce que contraires à l’éthique. Comment rester directeur des achats d’un Ehpad qui compte le nombre de croutons dans la soupe quand le coût mensuel pour le résident atteint 4 000€ par mois ! D’autres scandales se profilent, celui des crèches car certaines n’ont pas d’éthique.
Développer des espaces d’échanges : tel est le rôle des organisations syndicales. Avoir de l’autorité, c’est pouvoir dire des choses et être compris sans avoir à le démontrer, comme le ferait les parents ou les professeurs.
Les personnalités politiques sont légitimes en raison de leurs parcours, de leurs résultats, sans se diluer dans des plans de communication. La parole politique s’est dévaluée elle-même, en essayant de faire de la pédagogie.
4/L’éthique dans l’entreprise (d’assurance)
L’opinion à l’égard des grandes entreprises est nettement moins bonne qu’envers les PME. Or, Aéma est un grand groupe qui réunit Macif, Aesio et Abeille Assurance. A la défiance à l’égard des grandes entreprises s’ajoute la persistance de la mauvaise image des assureurs (« assureur voleur » et souvent bouc émissaire pendant le Covid). Pourtant, comme le souligne Adrien Couret, il y a pourtant des moments de vérité dans l’assurance quand la Macif accompagne ses sociétaires dont les maisons ont été détruites, à la suite d’une tornade ou après un sinistre corporel grave provoqué par un accident de voiture. Les situations dans lesquelles l’assurance intervient en indemnisant des sinistres sont loin d’être négligeables et la dimension de proximité et d’accompagnement dans un monde qui se digitalise ou en période de Covid est cruciale. C’est bien pour cette raison que la première préoccupation dans l’assurance est l’éthique. Avec des situations complexes à gérer, une gestion technique, des choix politiques et stratégiques de tarification… Les métiers de l’assurance ne peuvent s’opérer sans proximité avec les assurés. Et les enjeux du réchauffement climatique et du vieillissement poussent la Société vers les assureurs. Adrien Couret considère qu’ils doivent rejeter les artifices de la communication et parler de leur cœur de métier.
Dans son livre « Tous sociétaires ! L’entreprise mutualiste, un modèle pour a société du XXIème siècle », paru en 2022 aux éditions Autrement, Adrien Couret vante les vertus du modèle mutualiste et son mode de gouvernance. Autant de messages adressés aux salariés et aux adhérents.
Le mutualisme n’est pas systématiquement paré de toutes les vertus, mais le terreau de l’économie sociale du mutualisme y serait plus favorable, en dépit de nombreuses contraintes réglementaires. Dans ce contexte, le management des collaborateurs pour leur donner plus d’autonomie est de nature à renforcer leur engagement.
En miroir de la fidélité des sociétaires de la Macif, on trouve aussi celle des salariés, fondée sur une forte culture « maison » et présence dans les territoires. Pas de délocalisation à la Macif et le sociétaire a quelqu’un au bout du fil à son image, car l’accent est mis sur le savoir être des salariés en plus de l’acquisition de compétences techniques. Par exemple, la Macif est sortie des logiques du tout scripté pour répondre aux sociétaires et a déconstruit certains process pour éviter le sur-découpage des tâches. Dans ce contexte, le rôle d’accompagnement relationnel du manager est majeur.
Pour limiter le risque de perte de confiance des collaborateurs dans des entités différentes dotées chacune d’une culture forte au sein du groupe Aéma, l’objectif est de décentraliser le plus possible et de respecter la proximité et la responsabilité.
5/Concilier éthique et prise de risques
La compétence est le meilleur moyen de concilier éthique et prise de risques, selon le Général Pidoux citant Napoléon : « la plus grande immoralité, c’est de faire un métier que l’on ne connaît pas. ». La compétence libère, car connaître les fondamentaux et avoir les bonnes fondations sont indispensables à la prise de risques dans un métier qui peut avoir pour conséquences la mise en danger de vies humaines. Ainsi, 8 gendarmes ont été tués depuis le début de l’année. Comme le précise le Général Pidoux, le commandement doit assumer pleinement ses décisions, être à la manœuvre avec ses gendarmes ; développer la cohésion ; la fraternité d’arme et le sentiment d’être plus fort collectivement. Il faut faire preuve de lucidité dans la coercition et l’emploi de la force légitime. Le courage physique et intellectuel sont indissociables : courage de prendre la barre ; de faire des choix et d’écarter ceux qui représentent une menace. Respect, dignité et exemplarité, y compris dans sa vie personnelle, car le gendarme et sa famille sont observés. Ce qui suppose de s’imposer à soi-même la discipline, sans compromis par rapport à un métier exigeant.
6/La prise de risques en politique
Pour Marie-Anne Montchamp, le risque est d’envoyer le corps social dans le mur. L’engagement explicite et la vision suggèrent le débat, avant la régulation. A la différence de la posture d’autorité qui suppose une hiérarchie et un lien de subordination. A titre d’exemple, la Loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances reconnaissant à tout enfant porteur de handicap le droit d’être inscrit en milieu ordinaire dans l’école dont relève son domicile. Ce principe, renforcé en 2013. Citant une situation vécue d’une institutrice en larmes parce qu’elle n’arrivait pas à apprendre à lire un enfant trisomique de sa classe, Marie-Anne Montchamp reconnait que ce fut difficile pour les instituteurs et que les résistances rencontrées de la part des syndicats enseignants étaient saines et légitimes. Mais le débat et l’échange ont permis de progresser en partant du principe que l’école de la République devait être partout accessible à des enfants handicapés. Résultat : le nombre d’élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire est passé de 100 000 à 320 000, entre 2006 et 2017.
7/La prise de risque dans l’action syndicale
François Hommeril souligne que dans le monde industriel, la prise de risque est exclue, car c’est un principe fondamental. Si bien qu’aujourd’hui, il est impossible d’entendre cet adage d’autrefois : « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs », car dans les entreprises, la ligne est plutôt : « Si on veut cueillir des fleurs des champs, il faut risquer une averse. C’est le fameux TINA, pour « There Is No Alternative ». Si bien que peu d’entreprises poussent à prendre des risques pourtant propices au progrès. C’est le cas aussi pour des syndicalistes qui choisiraient cette voie par intérêt dans leur carrière alors que d’autres dans certains pays exposent leur vie en s’engageant au service de la défense de salariés.
8/Les conditions de la prise de risques dans l’assurance
Sans risques à couvrir, l’assurance n’existe pas. L’assurance est essentielle, car elle accompagne le développement économique, social et humain. Dans le même temps, en étant assurée une personne peut prendre plus de risques.
L’assureur doit évoluer dans un cadre sécurisé pour prendre des risques, avec une assiette large de sociétaires et un rapport au temps long, peu compatible avec une exigence de rentabilité trimestrielle des sociétés cotées en Bourse, par exemple. Le cadre mutualiste apporte cette sécurité du temps long.
Les mutuelles sont des entreprises très délibératives et ce temps de délibération est essentiel : la décision prise collectivement est rarement remise en cause. Selon Adrien Couret, un climat de sécurité individuelle et collective est nécessaire pour prendre des risques, car les sociétés instables manquent de confiance et privilégient le court terme faute de pouvoir se projeter.
L’expertise, la connaissance du risque dans la durée, le professionnalisme ainsi que la fidélité du management et des collaborateurs sont indispensables.
9/Restaurer la confiance est un enjeu d’attractivité
La confiance est aussi un enjeu d’attractivité dans la Gendarmerie qui cherche à recruter 12 000 personnes, touchée aussi par la difficulté de recrutement pour faire face aux défis : écologique, numérique et démographique. D’où la nécessité d’inspirer confiance. Selon le Général Pidoux, la crise sanitaire a laissé des traces et créé des ruptures avec des gens plus versatiles dans leurs choix. Dans un contexte difficile, il recommande de revenir aux fondamentaux pour réinterroger les valeurs collectives de la Gendarmerie : protéger les gens, c’est beau, fort et exigeant. Citant en exemple Arnaud Beltrame, officier supérieur de la Gendarmerie qui s’est volontairement substitué à un otage au cours de l’attaque terroriste du 23 mars 2018 à Trèbes et qui a succombé à ses blessures. Reprenant également la réflexion d’un maire (à Montmirail) : « Mes gendarmes sont des diffuseurs de sérénité ». Des valeurs humaines et une force humaine. Lors de la perte d’un camarade ou en cas de burn-out, l’entourage et le sens du collectif sont très importants. Et dans la gendarmerie, l’ascenseur social existe : vous pouvez commencer votre carrière comme Gendarme et la terminer comme Général. Du chercheur, au GIGN, en passant par le Garde républicain ou encore en ambassades ou en Outre-mer… les 300 métiers de la Gendarmerie offrent une grande diversité de métiers.
10/Restaurer la confiance
Sans promesse de récompense, pas d’efforts. Si le citoyen n’est pas sûr d’être récompensé, son engagement est modéré. Pour cette raison, François Hommeril considère qu’il faut restaurer un climat de confiance suffisant afin que chacun s’investisse.
En tant que militant du social, des sujets tels que l’emploi des personnes en situation de handicap ou le vieillissement de la population relèvent des domaines de compétences syndicales sur lesquels il agit.
C’est grâce à notre modèle de protection sociale que notre corps social tient, y compris les complémentaires négociées, permettant la citoyenneté. Or, le vieillissement de la population nous interroge sur notre modèle. Un bouleversement que Marie-Anne Montchamp considère comme aussi grave que le changement climatique. En tant que militante du handicap, elle constate que les parents se sont organisés. Aux personnes âgées, un modèle acceptable doit leur être proposé en alternative à l’EPHAD, puisqu’elles veulent vieillir chez elles. Or, un modèle est en train de se mettre en place grâce à des acteurs engagés.
Du côté de l’entreprise d’assurance, même les mutuelles sont interpellées sur leur manque de transparence et peu reconnues. Adrien Couret constate qu’il est difficile de faire savoir en quoi consiste le mutualisme : le renoncement au profit ; la localisation du travail en France ; des réseaux de réparateurs automobiles partout en France (Macif) ou des établissements de soins sur tout le territoire (Aesio). Pour quelles raisons ? Par crainte ? Manque de confiance dans le modèle ? Le mode de gouvernance des mutuelles est pourtant de nature à réconcilier assureurs et assurés. Car dans l’univers capitaliste, l’entreprise à mission, avec ses parties prenantes, est un mode dégradé du fonctionnement mutualiste qui compte des représentants des clients et de la société civile au bureau et au conseil d’administration. Ce modèle, consistant à être à la fois assureur et assuré, favorise la participation.